
Un scénario secret, élaboré durant ces vingt derniers mois d’une enquête sous haute tension. Un scénario inimaginable pour les défenseurs du clan Vedovini, incapables d’imaginer cette famille soudée et discrète impliquée dans un crime aussi odieux. Un scénario qui recèle encore des mystères et qui ne pourrait être validé que par des aveux…
Pour expliquer la disparition mystérieuse du petit Émile, survenue dans le huis clos familial d’un séjour d’été au Haut-Vernet (Alpes-de-Haute-Provence) en juillet 2023, les gendarmes de la section de recherches de Marseille (Bouches-du-Rhône) ont désormais la conviction que l’enfant de deux ans et demi a été tué. Accidentellement ou volontairement, mais tué. Et que l’auteur a ensuite imaginé une mise en scène au-delà du macabre…
Pour arriver à cette conclusion, les enquêteurs disposent de nombreuses cartes maîtresses, que Le Parisien – Aujourd’hui en France est en mesure de révéler, d’après des sources concordantes proches de l’enquête. Ces indices sont particulièrement graves. En premier lieu, des expertises entomologiques très poussées (étude des stades de développements des insectes lors de la décomposition d’un cadavre), et restées confidentielles, révèlent qu’il est scientifiquement impossible qu’Émile ait pu disparaître seul.
De nouvelles analyses
En effet, une nouvelle analyse du crâne de l’enfant, retrouvé le 30 mars 2024 par une promeneuse sur un sentier à deux kilomètres du hameau du Haut-Vernet, a mis en évidence que les ossements ont séjourné… à deux endroits différents. Dans la nature certes, mais aussi dans un milieu protégé des éléments extérieurs, quasi-stérile.
En clair, comme si le crâne – et donc possiblement le cadavre entier – avait été caché durant de longs mois avant d’être déposé par l’auteur du crime ou l’un de ses complices en pleine nature, non loin du hameau du Haut-Vernet. Et ce, pour orienter les enquêteurs sur la piste d’un accident solitaire sans coupable. Pire, les mêmes analyses sur le crâne ont mis au jour une lésion compatible avec une intervention humaine.
Une seconde expertise, pratiquée sur le t-shirt d’Émile, retrouvé à quelques dizaines de mètres du crâne, en contrebas, s’est, elle aussi, révélée ô combien instructive. D’après les déductions des experts, le vêtement ne portait étonnamment aucune trace de décomposition humaine. Comme s’il n’avait pas été au contact de la dépouille d’Émile, invalidant toujours plus la thèse d’une mort solitaire en forêt.
Sur la foi de ces deux expertises majeures et accablantes, les enquêteurs ont dû dresser une liste de suspects ayant pu tuer Émile. Raison pour laquelle ils ont orienté leurs soupçons sur les dernières personnes à l’avoir vu vivant, donc ses grands-parents, Philippe et Anne, qui en avaient la responsabilité lors de ces vacances, ainsi que les enfants du couple présents au Haut-Vernet.
C’est dans cette logique que les gendarmes ont placé en garde à vue, mardi 25 mars au matin, quatre membres de la famille Vedovini : Philippe et Anne, mais aussi Marthe et Maximim, les deux enfants majeurs. Pour ne pas rajouter du traumatisme au traumatisme, décision a été précise d’entendre les enfants mineurs des Vedovini sous le régime de l’audition libre. Mais leurs témoignages pourraient s’avérer tout aussi cruciaux.
L’un d’eux dispose-t-il de la clé du mystère ? Ce coup de théâtre, vu de l’extérieur, est en réalité le fruit d’une stratégie mûrement réfléchie des enquêteurs. S’ils ne disposent d’aucun élément décisif permettant d’impliquer avec certitude un membre des Vedovini dans la mort d’Émile, ils ont réuni une somme d’indices convergent vers Philippe Vedovini, le suspect numéro 1.
Déjà épinglé dans le scandale de l’école de Riaumont
Au cours de leurs investigations, les gendarmes ont en effet découvert que cet ostéopathe de 59 ans, domicilié à La Bouilladisse (Bouches-du-Rhône), présentait un profil bien plus ténébreux qu’imaginé. On le savait dur, rigide et strict – les témoignages recueillis et les nombreuses heures d’écoutes téléphoniques dessinent surtout le portrait d’un homme « irascible », « coléreux » et, pire encore, coutumier d’épisodes disproportionnés de violences.
D’après les investigations, l’homme avait tendance à lever la main sur ses propres enfants à coups de poings et de pieds. Et ce, alors même qu’il avait été épinglé dans le scandale de l’école traditionnaliste de Riaumont (Pas-de-Calais) où il a été surveillant dans les années 90. Entendu puis placé sous le statut de témoin assisté dans l’un des volets de l’enquête judiciaire, il avait reconnu avoir infligé à l’époque des corrections musclées aux élèves, mais toujours, dit-il, dans un cadre éducatif d’un autre temps. Un passé sombre qui nourrit forcément les doutes des enquêteurs.
Plus intrigant encore, les gendarmes ont découvert que Philippe Vedovini souffrait de « dépression » depuis plusieurs années. Si l’homme sait se montrer affable en public, ce catholique pratiquant serait traversé par des épisodes dépressifs, peut-être liés à une blessure ancienne et intime. Par conjectures, les enquêteurs se demandent donc si le grand-père n’aurait pas commis un acte de violence sur Émile qui l’aurait dépassé, acte qui aurait entraîné la mort de l’enfant sans intention de la donner.
Dans ce scénario, qui reste à être vérifié et précisé, Philippe Vedovini, décrit comme le patriarche du clan et très impliqué dans la protection de l’image de la famille, aurait ensuite astreint sa famille au silence… D’où la logique d’enquête d’entendre son épouse et deux de ses enfants en garde à vue pour des faits de « homicide volontaire » et « recel de cadavre ».
Un témoignage gardé jusqu’à présent secret
Selon nos informations, un témoignage, gardé jusqu’à présent secret par les enquêteurs, pourrait mettre Philippe Vedovini en difficulté. Il émane d’un voisin du Haut-Vernet qui a vu Émile descendre seul vers le bas du hameau. Or, ce même voisin affirme avoir vu ensuite son grand-père partir seul à sa recherche. Que s’est-il passé ensuite ? Des zones d’ombre demeurent encore sur ce scénario criminel.
La garde à vue du grand-père d’Émile ainsi que de ses trois proches doivent s’achever ce jeudi matin. Des dernières heures capitales d’audition à l’issue desquelles les juges d’instruction devront trancher entre deux décisions lourdes de conséquences : relâcher les suspects ou mettre en examen un ou plusieurs d’entre eux. À ce stade, Philippe Vedovini comme ses proches restent présumés innocents.
Ce mercredi soir en fin de journée, aucun des suspects n’avait livré au cours de leurs auditions d’aveux ou d’éléments susceptibles d’éclairer la mort d’Émile.