« Si tu es gentil avec moi, tu auras 10/10 comme les autres » : victime d’un prêtre pédocriminel, un Morlaisien témoigne
18.04.2023 Morlaix – Finistère – France : Victime d’un prêtre pédocriminel quand il était enfant, Christophe, 73 ans. a longtemps refoulé cette partie de sa vie. Jusqu’au film « Grâce à Dieu », qui a servi de déclic. Aujourd’hui, il demande réparation
Plus de six décennies après les faits, il ressent encore une forme de malaise à chaque fois qu’il passe devant l’église Saint-Melaine, au centre-ville de Morlaix. C’est là que la vie de Christophe (*), a basculé dans l’horreur, au début des années 60. « J’avais dix ans. Je n’étais pas croyant. Mais comme tous mes copains allaient au catéchisme, j’y suis allé aussi », se souvient-il. À l’école, Christophe est très bon élève. Mais au caté, alors qu’il apprend bien ses leçons, il est le moins bien noté. « Je n’avais pas l’habitude. Un jour, j’ai pris mon courage à deux mains et j’ai demandé au prêtre pourquoi j’étais le dernier de la classe. » La réponse de ce dernier, décédé dans les années 70, fait froid dans le dos. « Il m’a dit, en substance, que c’était parce que mes parents ne venaient pas à l’Église. Puis il a ajouté que si j’étais gentil avec lui, j’aurais 10/10. Comme les autres. À partir de là, chaque jeudi matin, j’ai subi ses agressions sexuelles. Ça a duré neuf mois. » Neuf mois d’enfer. « Caresses de plus en plus poussées, masturbation… et tout ce qu’on peut imaginer. Je coche toutes les cases de la victime d’un pédocriminel, sauf le viol ».
Ses parents ne l’ont jamais su. « De toute façon, ils ne m’auraient jamais cru. Le curé, c’était comme l’instituteur. Un sachant qu’il fallait respecter, au-dessus de tout soupçon. Je me suis tu. » Pendant huit ans. « J’ai eu une jeunesse extrêmement perturbée. J’étais dans l’incapacité d’avoir des relations apaisées avec les femmes. Ça s’est réglé pendant mes études supérieures, grâce à un voisin, étudiant en psychologie. Je lui ai raconté ce que j’avais vécu. Il m’a remis les idées en place. Ça m’a débloqué. Puis j’ai enterré ça pendant des dizaines d’années ». Au point que ses deux enfants ne savent rien de sa douloureuse histoire. Quant à son épouse, elle l’a appris il y a quelques mois seulement. Par hasard. En décrochant le téléphone. « Elle ne comprenait pas ce que l’Évêché me voulait. Je lui ai expliqué mon enfance. » Et la démarche qu’il venait d’engager après avoir visionné « Grâce à Dieu », le film de François Ozon. « J’ai eu un déclic. Tout m’est revenu d’un coup. Dont le nom de ce prêtre. Plein de détails. Ça m’a révolté de constater que ces faits se reproduisaient et que l’Église continuait à couvrir ».
En octobre 2021, Christophe a donc contacté l’évêché de Quimper. « Ils ont été irréprochables. J’ai été écouté. Et j’ai reçu des excuses écrites de l’évêque Laurent Dognin. J’ai apprécié. Mais ça ne coûte pas cher de s’excuser ». Le septuagénaire a ensuite adressé une requête à l’Instance nationale indépendante de reconnaissance et de réparation (Inirr), chargée par l’Église d’accompagner les victimes d’abus sexuels en son sein, quand elles étaient mineures. « Là encore, j’ai été écouté, pris au sérieux. Personne n’a contesté mon statut de victime. Mais j’ai eu beaucoup d’interlocuteurs et ça fait des mois que j’attends. On m’a expliqué qu’il y avait des délais. Reste cette sensation que l’Inirr est une machine administrative qui fonctionne avec beaucoup de lenteur, faute de moyens ».
Or, Christophe est pressé. « Je ne demande rien de plus que l’application du règlement de l’Inirr. Une réparation financière, sur la base de ses critères. L’indemnisation, c’est la dernière étape pour que je puisse enfin tourner la page. À 18 ans, j’aurais sans doute accepté l’accompagnement psychologique qu’on me proposait. Plus à mon âge. Peu importe que ce soit 1 000 € ou 5 000 €. C’est une question de principe ». De l’ordre du symbolique. Car les cicatrices, elles, ne disparaîtront jamais.
Source (https://www.letelegramme.fr/finistere/morlaix/si-tu-es-gentil-avec-moi-tu-auras-10-10-comme-les-autres-victime-d-un-pretre-pedophile-ce-morlaisien-temoigne-18-04-2023-13321360.php)