
La tuerie de Chevaline… L’affaire Cédric Jubillar… Le meurtre présumé de son épouse par Michel Pialle… Lors de chaque garde à vue sensible, lors de déplacement sur une scène de crime, ils sont là. Discrètement, ils écoutent et analysent les réponses des suspects et témoins entendus par les enquêteurs de la gendarmerie.
C’est une nouvelle fois le cas dans l’affaire Émile. Selon des sources concordantes, deux gendarmes affectées au département des sciences du comportement (DSC) sont présentes, depuis mardi 25 mars dans le sud de la France, pour assister les enquêteurs de la section de recherches de Marseille (Bouches-du-Rhône) lors des auditions des grands-parents, de l’oncle et de la tante du petit Émile, disparu le 8 juillet 2023 avant qu’une partie de son squelette ne soit retrouvée à la fin du mois de mars 2024.
Pour ces deux enquêtrices chevronnées, le travail préparatoire a en réalité commencé il y a plusieurs mois. Grâce aux précédentes auditions des témoins, devenus suspects ce mardi, à l’aide des écoutes téléphoniques diligentées depuis plusieurs mois, les deux analystes en science du comportement se sont imprégné de la psychologie des proches d’Émile. Elles ont notamment une connaissance précise de la personnalité de Philippe Vedovini, réputé très dur et peu impressionnable.
« Connaître les personnalités » pour savoir comment leur parler
Avec cette connaissance poussée des ressorts intimes des gardés à vue, les deux analystes peuvent « orienter les questions des enquêteurs, et surtout la manière de les poser, souligne un connaisseur de la DSC. Durant les interrogatoires, certains suspects doivent être bousculés, d’autres cajolés ou même flattés… Connaître les personnalités permet parfois de trouver les bons mots pour les faire parler plus facilement. »
Lors des interrogatoires, les deux gendarmes ne sont pas directement face aux suspects. Elles patientent dans une salle annexe et écoutent toutes les réponses apportées. Lors de pauses, elles aiguillent les enquêteurs. En préparant la garde à vue de Michel Pialle pour le meurtre de sa femme, en juin 2023, les deux analystes avaient ainsi mis à jour « des traits de personnalité narcissique et l’absence d’indicateurs de type affectifs ».
Durant son audition, alors que Michel Pialle déclarait « être monstrueusement inquiet pour son épouse », les analystes s’étaient étonnées « qu’aucune émotion ne transparaisse sur son visage, dans sa gestuelle ou dans l’intonation de sa voix ». La consigne avait alors été donnée aux enquêteurs d’insister sur « des éléments matériels plus que sur l’aspect émotionnel de ce crime », rapporte un document judiciaire.
Avant une dernière audition, en pleine nuit, des gendarmes étaient même allés lui parler dans les geôles. Finalement, « l’accumulation de ces éléments factuels, associée à une mise en confiance propice à la communication et à l’écoute bienveillante » avaient permis aux enquêteurs de recueillir ses aveux quelques heures avant la fin de sa garde à vue…
Rançon avoue à la toute fin de sa garde à vue
Cette connaissance poussée des suspects avait aussi permis aux analystes de pousser le criminel Jacques Rançon à avouer le meurtre d’Isabelle Mesnage lors des dix dernières minutes de sa garde à vue. Pas un hasard, tout avait été pensé en amont. « Il ne fallait pas lui crier dessus, jamais, même lorsqu’il était horripilant, avait raconté la lieutenant-colonelle Marie-Laure Brunel-Dupin, cheffe de la DSC, lors d’une interview à l’émission 7 à 8. L’essentiel était de ne pas le fermer, car sinon on ne pouvait pas le récupérer. »
De la même manière, avant que la section de recherches de Dijon (Côte-d’Or) n’entende le tueur en série Michel Fourniret, Marie-Laure Brunel-Dupin avait lu tous ses interrogatoires passés. À « 7 à 8 », elle avait expliqué que ce travail avait permis aux enquêteurs de s’adapter aux réponses alambiquées de l’Ogre des Ardennes et de lui montrer le travail fourni avant sa garde à vue, une condition essentielle pour le faire parler.
DSC a été mise à contribution plus récemment. Les analystes ont notamment relu « 556 auditions de témoins (…) afin de déceler le moindre élément notable relatif au témoin, au témoignage en lui-même, aux faits ou aux incohérences susceptibles d’orienter les enquêteurs », relate un document judiciaire.
Cela leur a notamment permis de brosser le profil d’un suspect – qui n’a pas été identifié à ce jour – à destination des enquêteurs. Les analystes étaient aussi présents lors d’une reconstitution organisée il y a peu à Chevaline. Ils avaient aussi assisté les gendarmes de Chambéry (Savoie) lors de l’audition de la fille du couple Al-Hilli, survivante de la tuerie, ou encore lors de la garde à vue d’un motard ayant un temps été suspecté d’être l’auteur du triple meurtre.
Engagés sur une soixantaine d’affaires par an
Si ce recours aux analystes en sciences du comportement est de plus en plus courant pour la gendarmerie comme pour la police – l’Office central de répression des violences aux personnes (OCRVP) compte aussi plusieurs analystes dans ses rangs – ce dernier n’est pas infaillible pour autant.
Les experts étaient ainsi présents à Toulouse (Haute-Garonne), en juin 2021, lors de la garde à vue de Cédric Jubillar, suspecté du meurtre de sa femme. Malgré cet appui et de longs mois de travail à analyser le tempérament du mari de Delphine Jubillar, ce dernier n’a jamais reconnu la moindre implication dans le meurtre de sa femme.
Tous les ans, selon le site de la gendarmerie, les spécialistes de la DSC sont engagés sur environ 60 affaires.