
Alors qu’une proposition de loi LR, votée en première lecture au Sénat en février 2025, ambitionne d’interdire tout signe religieux dans les compétitions sportives, y compris amateurs, clubs et athlètes s’inquiètent d’une exclusion massive des pratiquantes voilées. Entre volonté de protéger la laïcité et risque de décrochage, le sport français est sous tension.
LA CROIX-SAINT-OUEN (Oise) – Le 14 mai 2023, Morgane, basketteuse amateur de 34 ans, vit un tournant. Ce jour-là, cette conseillère bancaire, convertie à l’islam depuis douze ans, assiste depuis le banc à un match de son équipe, le hijab sportif couvrant sa nuque et ses cheveux. Mais en vertu du règlement de la Fédération française de basket interdisant les signes religieux en compétition, l’arbitre lui intime de retirer son voile… ou de rejoindre les gradins. Un compromis bancal est trouvé : Morgane observe le match sur une chaise, à distance du terrain. Un an et demi plus tard, elle a définitivement quitté son club. « On m’a forcée à choisir entre ma passion et mes convictions. C’est une violence », déplore-t-elle.
Une loi pour uniformiser les règles
Portée par Les Républicains et soutenue par le gouvernement, la proposition de loi adoptée au Sénat en février 2025 vise à étendre l’interdiction des signes religieux à toutes les compétitions sportives, y compris amateurs. Actuellement, seuls les salariés des fédérations, les arbitres et les athlères représentant la France (comme les sélectionnés aux JO 2024) sont soumis à la neutralité religieuse. Les autres pratiquants dépendent des règles de leur fédération : 14 sur 81 (dont le basket, le foot et le rugby) interdisent déjà le hijab en compétition, selon un rapport parlementaire de 2024.
« Pas de prosélytisme, juste des filles motivées »
Dans les clubs, l’émotion est vive. « Exclure des joueuses sous prétexte de laïcité, c’est un contresens », argue Laurent Golfier, entraîneur au Montreuil Handball (Seine-Saint-Denis), dont plusieurs collégiennes portent le voile. « Elles respectent les mêmes règles que les autres, sans traitement de faveur. Le sport doit rester un lieu de mixité. » Un discours loin des alertes sur le « communautarisme » : le même rapport parlementaire évoque « plus de 500 clubs touchés par des comportements identitaires » entre 2020 et 2024. Des chiffres minorés par le ministère de l’Intérieur, qui soulignait en 2022 l’absence de « radicalisation massive » dans le sport, malgré une religiosité « plus visible ».
L’exception française face à l’Europe
Alors que les fédérations internationales et la plupart des pays européens autorisent les couvre-chefs religieux, la France cultive sa singularité. En 2024, Amnesty International dénonçait des « pratiques discriminatoires », rappelant que le hijab n’entrave pas la performance. Preuve des ambiguïtés : lors des JO de Paris, la sprinteuse Sounkamba Sylla avait dû troquer son foulard contre une casquette en équipe de France… mais pourrait le porter sous ses couleurs maliennes en 2028.
Quel avenir pour le sport amateur ?
Aujourd’hui, des centaines de Morgane redoutent de devoir abandonner leur licence. « Beaucoup de filles voilées viennent pour s’émanciper, pas pour polémiquer », insiste Fatima, joueuse de volley en région parisienne. Dans l’Oise, l’ancienne basketteuse, elle, a renoncé : « J’ai perdu ma seconde famille. » Alors que le texte doit être examiné à l’Assemblée, le gouvernement affirme vouloir « protéger les valeurs républicaines ». Les clubs, eux, comptent leurs effectifs : « Si ça passe, on va perdre des équipes entières », prévient un dirigeant de ligue amateur.
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