En février 2000, le quotidien L’Humanité publie une enquête signée Serge Garde à propos d’un CD-rom découvert dans des conditions rocambolesques alors que le journaliste investigue l’affaire Dutroux. Le CD-rom, saisi en Hollande, à Zandvoort, contient 8 400 documents pédo-criminels effroyables. La police hollandaise est parvenue à identifier 472 portraits d’enfants. Tous les médias français relaient l’information : sous pression, la justice autorise les parents à consulter le fichier dans les gendarmeries. À Auxerre, deux des familles des “disparues de l’Yonne” reconnaissent leurs enfants. Cette hypothèse est pourtant écartée : elle ne cadre pas avec la théorie du prédateur solitaire qu’est Émile Louis. Selon les autorités, tous les parents, médecins et travailleurs sociaux qui ont identifié des enfants se trompent et le parquet de Paris enterre l’affaire. Une décennie plus tard, nombre de parents et d’associations s’insurgent contre ce dysfonctionnement des institutions. Serge Garde rouvre le dossier.
source:alpha77
Cette affaire, comme d’autres avant elle, a été mise au jour par le Belge Marcel Vervloesem et son équipe de l’association Morkhoven à la fin des années 1990.
Point de départ: un pédocriminel néerlandais domicilié à Zandvoort, Gerrit Ulrich. C’est lui qui remettra une partie du matériel à Marcel Vervloesem, puis qui lui indiquera où se trouve caché le reste des documents dans son appartement, avant d’être assassiné à Pise par son amant…
Le “matériel” se compose pour l’essentiel de CD-ROM contenant des dizaines de milliers de fichiers pédocriminels montrant des enfants nus (du nourrisson à l’adolescent), seuls ou abusés par des adultes, ainsi que du carnet d’adresses de Gerrit Ulrich. La police néerlandaise a réalisé à partir de matériel image (que lui a remis à l’époque Marcel Vervloesem) un recueil de 570 visages d’enfants et de 17 visages d’adultes, sorte de répertoire photographique des personnes figurant sur une partie du matériel reçu.
En France, deux journalistes ont réussi – un temps – à médiatiser cette affaire: Serge Garde dans «L’Humanité» (dès le 24 février 2000) puis Laurence Beneux dans «Le Parisien». Ils ont – ensemble – poursuivi et synthétisé leur enquête dans un ouvrage, “Le livre de la honte – les réseaux pédophiles” (le Cherche Midi éditeur, 2001).
Ils nous donnent une petite idée du contenu de ces CD-ROM (un seul était évoqué au départ, il y en aura finalement une vingtaine, comptabilisant des dizaines de milliers de fichiers pédopornographiques): “Ce CD-ROM est abject. Une écoeurante collection d’images souvent insoutenables. (…) Nous avons souffert de ces images, jusqu’à la nausée. Derrière chaque image, nous savions un enfant en péril. Un enfant de chair, qui souffre et n’a rien de virtuel.
Mais avant tout, l’histoire de ce CD-ROM nous semble emblématique. Le réseau de Zandvoort n’est probablement pas pire que d’autres. Mais cette affaire révèle le degré d’indifférence de l’Etat face à ce type de criminalité. A ce stade, la passivité et les lourdeurs institutionnelles confinent à la complicité de fait.”
L’association Morkhoven a fait parvenir le matériel (CD-ROM plus divers autres documents) à INTERPOL ainsi qu’à tous les chefs d’Etat européens. Ainsi en France, L’Elysée en a accusé réception en avril 1999. La chancellerie l’a alors transmis au parquet général de Paris, le 14 mai 1999, afin qu’une enquête soit diligentée par le procureur de Paris. La Brigade des mineurs de Paris est alors saisie et rend le résultat de son enquête un mois plus tard au parquet qui… classe la procédure le 7 juillet 1999 “en l’absence d’infraction pénale”, relatent Laurence Beneux et Serge Garde…
Interviewé sur «France 2» le 16 mai 2000, le procureur Yvon Tallec tiendra ces propos hallucinants: “Les photos sont anciennes”, “la plupart des enfants ne sont pas français” et “les enfants étaient consentants, ou c’était avec le consentement de leurs parents”…
Dès la publication du premier article de Serge Garde, de nombreux appels parviennent au journal «L’Humanité», de personnes qui demandent à pouvoir visionner le CD-ROM…
Parallèlement, le C.I.D.E., qui a eu vent de cette affaire et qui a déjà une idée assez précise de l’ampleur du phénomène des réseaux pédocriminels grâce à un magistrat français avec lequel il est en contact étroit, est mis en relation avec une membre de l’association Morkhoven en Belgique, Gina Bernaer. Une rencontre a lieu avec le président du comité, Georges Glatz, à Bruxelles. Il est convenu que Gina Bernaer fasse parvenir une copie des CD-ROM au C.I.D.E. par courrier postal.
Ce sera fait environ un mois plus tard, en novembre 1998, mais le colis ne parvient pas à destination. Nouvel envoi, nouvel échec… Il est alors convenu d’agir dans la discrétion la plus totale, via une adresse de réception secrète. Le colis parvient cette fois à destination. Mais quelques heures plus tard, Georges Glatz apprend le décès de Gina Bernaer dans un accident de la circulation. Seule au volant de sa voiture, sur une route rectiligne, de nuit, elle est venue s’écraser contre un pont… La gendarmerie belge ne réussira pas à expliquer pourquoi elle a subitement dévié de sa trajectoire (elle venait de prendre la route, elle n’était pas fatiguée).
On peut noter que Serge Garde a vécu exactement la même “mésaventure” que Gina Bernaer et le C.I.D.E. en matière de courrier postal: “Par deux fois, des courriers contenant une copie du
CD-ROM se sont égarés sans que nous puissions obtenir d’explication satisfaisante de leur perte. Cela nous est apparu comme un simple hasard et nous avons fini par nous le faire porter et remettre à Paris”, écrit-il.
Côté suisse, les documents informatiques reçus par le C.I.D.E sont transmis tant à la Sûreté du canton de Vaud qu’à la police fédérale à Berne, qui les transmettra à INTERPOL. Alors que le CD-ROM reste inaccessible aux familles en France, c’est finalement à Genève, grâce au procureur Bernard Bertossa sollicité par le C.I.D.E., que certaines familles vont enfin pouvoir avoir accès à ce matériel et le visionner. Le 14 juillet 2000, une dizaine de parents se rendent ainsi à la police genevoise qui a aménagé une salle pour la consultation et mis sur pied une cellule d’accueil et de soutien. Serge Garde, parmi d’autres journalistes, est présent. Mais tous sont évidemment tenus à l’écart de cette séance qui va durer toute la journée.
Parmi les familles conviées à Genève, plusieurs vont reconnaître des enfants et notamment :
1) Les grands-parents paternels d’A. D. Ils reconnaissent A. sur un total de 14 photos. L’essentiel est constitué de prises de vues d’A. nu ou avec ses couches. Sur deux
autres, on voit A. dans un appartement, debout, en compagnie d’une personne dont on ne voit que le bas du corps. Il s’agirait de sa nounou C… A. est habillé d’un jean, d’un polo et d’une paire de tennis blanches avec une figurine de Mickey sur le côté extérieur et des lignes jaunes le long des lacets et sur la bordure supérieure.
2) Le 15 mai 2000, F. N. consulte le fichier de portraits tirés du CD-ROM de Zandvoort établi par la police néerlandaise, dans les bureaux du C.I.D.E. à Lausanne. Elle reconnaît – D., photo 57, spécial 2.
– A., demi-sœur de D., photo 5, spécial 2 et photo 4, spécial.
– C., demi-frère de D., photo 234, spécial.
Le couple N. participe ensuite à la séance avec la police genevoise. F. reconnaît D. et sa grande sœur A. à plusieurs reprises.
3) Mme F. K. a aussi participé au visionnement à la police genevoise. Elle a reconnu des personnes sur plusieurs photos. Elle a reconnu les enfants de P. G., ainsi qu’un de ses amis.
4) Lors de la publication du fameux article de Serge Garde dans «L’Humanité» du 24 février 2000, C. L. reconnaît son fils sur une planche photographique en partie caviardée. Elle contacte le journaliste qui lui montre les photos du CD-ROM. Elle reconnaît son fils à plusieurs reprises, notamment sur des photos portant les numéros 79, 80 et 301. Il existe en fait toute une série de 26 photos d’A. ayant pour cote “A.” suivi de numéros (A.21, etc…) A. a également été reconnu par Serge Garde et d’autres personnes , notamment le docteur Christian Spitz, pédiatre à Paris (cf attestation du 11.03.2000).
Ces informations sont transmises à la juge d’instruction Ringot, en charge des dossiers liés au CD-ROM.
Les 18 et 20 juillet 2000, C. L. participe au visionnement du CD-ROM à la police genevoise. Elle reconnaît A. sur deux photographies ayant pour cotes: “news-boys-summ.tree,jpg” et “boys-extra-vesica-07-jpg”.
Les policiers genevois ont pris la déposition de toutes les personnes pensant avoir reconnu des enfants. Les procès-verbaux sont transmis au procureur Bertossa et rejoindront, plusieurs mois plus tard, le dossier d’instruction ouvert en France. Puis: plus rien…
L’affaire des CD-ROM de Zandvoort et le travail d’enquête de Serge Garde donneront lieu également à une grande réunion d’associations de défense de l’enfance le 26 mai 2000 dans les locaux de «L’Humanité» à Saint-Denis, près de Paris. Y participent 14 associations, dont le C.I.D.E. représenté par Georges Glatz. Avec elles: des professionnels de l’enfance en danger, des pédopsychiatres, des psychiatres, des avocats, quelques politiques et des journalistes.
Comme le souligne Serge Garde dans “Le livre de la honte”, la rencontre a permis de tisser des liens entre les participants. Elle conduira à plusieurs collaborations entre ces associations ainsi qu’entre elles et certains journalistes. Mais guère plus…
Quant à l’issue judiciaire du dossier des CD-ROM, elle est navrante mais sans surprise. Dans leur conclusion, Laurence Beneux et Serge Garde écrivent:
“Face aux huit mille cinq cents photos, aux quatre cent soixante-dix portraits d’enfants du fichier Ulrich, les pouvoirs publics sont restés fidèles à leur habitude. Etouffer ou amortir. L’oreiller ou l’édredon. On ouvre des instructions judiciaires lorsque l’on ne peut plus faire autrement, en sachant pertinemment que l’on dispose de différents moyens pour édulcorer ou enterrer la procédure. Des moyens qui ont largement fait la preuve de leur efficacité, y compris dans les affaires politico-financières qui en ont largement bénéficié. Soit on saucissonne l’affaire en de multiples procédures qui ne permettront jamais de rendre compte de la magouille dans son ensemble. Ou bien l’inverse. On concentre toutes les plaintes entre les mains d’un unique magistrat instructeur, qui se retrouve investi d’un pouvoir écrasant et considérable sur un dossier monstrueux…”
source : https://aivi.org/vous-informer/actualites/2450-les-reseaux-pedocriminels-n-existent-pas-vraiment.html?showall=&start=2