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Bernadette Bricout est professeur de littérature orale à l’Université Paris Diderot. Au micro de Jean Lebrun dans “La Marche de l’histoire”, elle éclaire d’un jour nouveau ce célèbre conte en s’appuyant sur des versions orales qui ont précédé celle de Charles Perrault.

Illustration au XIXe siècle du conte "Le Petit Chaperon rouge"
Illustration au XIXe siècle du conte “Le Petit Chaperon rouge” © Getty / duncan1890

Pourquoi connaît-on si mal le Petit Chaperon Rouge

Académicien éminent et grand latiniste, Charles Perrault transcrit les contes (qui étaient jusqu’ici transmis oralement) pour la Cour de Louis XIV. Ce faisant, il va aussi les modifier, “les censurer” estime même le psychologue Bruno Bettelheim : d’un vrai savoir transmis de bouche à oreille et qui nous interrogeait au plus intime, au plus secret, il n’aurait tiré que de simples textes d’avertissement. 

Les contes de Perrault ont bénéficié d’une diffusion énorme, notamment par le colportage et par l’imagerie d’Épinal. “C’est une version qui est privilégiée par la mémoire, par l’imaginaire collectif, par la transmission” estime Bernadette Bricourt, “mais qui participe de cette extraordinaire fortune des contes. Pour moi, c’est un visage du Petit Chaperon rouge parmi d’autres. La version de Perrault et celle des frères Grimm, même si elles ont été censurées, ont beaucoup fait pour la pérennité du conte”

Revenons ici, avec Bernadette Bricourt, professeur de littérature orale, sur quelques unes des innombrables versions du conte qui ont précédé celle de Perrault.

Un chaperon rouge… qui n’existe pas toujours dans le conte

Dans la version de Perrault, le chaperon (sorte de capuche) rouge est ce qui caractérise la fillette, c’est aussi ce qui donne le nom au conte. Élément capital du conte, semble-t-il. Pourtant, “dans les versions orales, très souvent, la petite fille est habillée d’un habit de fer ou bien elle porte des sabots de fer” explique Bernadette Bricout. “Le conte dit très explicitement qu’elle pourra partir chez sa grand-mère lorsque l’habit de fer sera usé (ou lorsque les sabots de fer seront usés). Alors l’enfant se lève pendant que sa mère dort pour frotter l’habit de fer contre le mur, jusqu’à ce qu’il se déchire (ou elle frappe les sabots de fer sur les cailloux du chemin jusqu’à ce qu’ils se brisent). Et ainsi, la mère est prise au mot et elle doit la laisser partir”. Le Petit Chaperon rouge a envie de goûter à la liberté. 

Du four au moulin 

Bernadette Bricout : “La grand mère habite “au-delà du moulin”. La petite fille porte une galette à sa grand mère parce que ce jour-là, sa mère a cuit et fait des galettes dans le four à pain (qui était traditionnellement bien sur le four de la maison, le four domestique). 

Or, on sait que ce four est, traditionnellement, le lieu de la gestation, le lieu où le pain lève, mais aussi le lieu où l’enfant va lever comme une belle miche dorée. On pense au petit bonhomme en pain d’épice. D’ailleurs, il n’est pas rare que des femmes qui attendent désespérément un enfant fabriquent un enfant de pâte et le mettent au four en espérant ainsi le faire naître. Et le moulin est vraiment le lieu dans les écrits populaires de la sexualité la plus joyeuse et la plus débridée. On pense aux mouvements de la trémie qui accompagnent dans les Contes de Canterbury les ébats – qui sont souvent d’ailleurs des ébats illicites, parce que ce n’est pas évidemment dans le moulin que s’accomplit le devoir conjugal : “on envoie son bonnet par dessus les moulins”. Une devinette nous dit “Savez-vous ce que l’on doit faire si l’on ne veut pas avoir d’enfants ?” La réponse est très claire : il faut faire comme le meunier, “il faut décharger ses sacs devant la porte du moulin”. 

Et donc, la petite fille, en allant de la maison de la mère à la maison de la grand-mère, s’en va du four au moulin, c’est à dire du lieu de la gestation vers le lieu de l’exubérance joyeuse“.

Illustration de Gustave Doré pour le conte "Le Petit Chaperon rouge" de Charles Perrault
Illustration de Gustave Doré pour le conte “Le Petit Chaperon rouge” de Charles Perrault © Getty / duncan1890

Un loup… ou une ogresse ? 

Dans certaines versions du conte, comme celle relatée par Italo Calvino dans ses Contes populaires italiens, le loup du conte a l’allure d’une ogresse. 

Bernadette Bricout : “Le loup est ambigu en ce sens qu’il va prendre, dans toutes les versions, les traits de la grand-mère, puisqu’il va s’habiller en grand-mère avant d’entrer dans le lit. Il y a beaucoup de versions qui vont jouer sur une ambivalence redoutable, non pas seulement entre l’ogresse et le loup, mais entre la grand-mère et le loup. Est-ce que c’est le loup qui s’habille en grand-mère ? Ou est-ce que c’est la grand-mère qui est un loup (voire un tigre, comme dans certaines versions chinoises) ?

Je crois que l’ogresse n’est pas très loin de cette grand-mère. Il faut dire que la vieille femme qui habite de l’autre côté du village, dans un lieu sauvage, qui vit à l’écart de la société, ça peut être un personnage assez inquiétant, assez loin de l’image de Mamie Nova”

Le carrefour des choix

À la deuxième étape de son chemin, le Petit Chaperon rouge arrive à un carrefour : il faut qu’elle choisisse entre le chemin des épingles et celui des aiguilles.

Bernadette Bricout : “Les épingles servent à fixer les toilettes (donc on est du côté de la parure) ;  les aiguilles servent à travailler

Mais il y a autre chose : l’épingle, c’est aussi l’attribut de la jeune fille, puisque c’est un instrument de défense amoureuse (l’épingle à chapeau était un véritable petit poignard), un instrument de divination amoureuse, un instrument aussi pour la jeune mariée (le jour du déshabillage de la mariée, on distribue les épingles aux filles du village et chacune d’entre elles acquiert ainsi la certitude qu’elle aussi va trouver un époux).

L’aiguille, elle, a un chas. Qu’est-ce qui passe et repasse par un petit trou ?… Il y a toutes sortes de devinettes à caractère sexuel qui nous tirent du côté de ces femmes qui, sans être mariées, ont eu une vie assez libre, ont su “mettre le fil à l’aiguille””.

Tire la chevillette…

Il existe une version italienne du conte où c’est l’intestin de la grand mère qui sert de cordon de sonnette. Et quand la petite fille arrive, elle va tirer sur l’intestin de la grand-mère en disant : “Oh petite grand-mère, que cette chose-là est molle !” 

Le loup, du fond de son lit, répond :  “Tire seulement et tais-toi, ce sont les intestins de ta grand-mère.

– Que dis tu donc ? dit la petite fille. 

– Tire seulement, et tais-toi donc. 

Dans certaines versions de l’histoire, c’est le petit chaperon rouge qui mange la grand mère. Bernadette Bricourt : “Il y a des parties du corps de la grand-mère qui sont exposées et que la petite fille va manger. Ce sont très souvent les organes qui participent de la mise au monde et de la reproduction. Et évidemment, en savourant ce repas, la petite fille s’approprie des facultés vitales qui sont liées à ces organes génésiques. On sait bien, dans les récits d’aventures, que manger le coeur et le foie de son adversaire, c’est s’approprier sa force. Et vous voyez, il y a un principe de vases communicants : quand la petite fille mange le corps de sa grand-mère, elle est presque prête à entrer dans le lit du loup. 

Une génération, chasse l’autre : la grand-mère sort de scène quand la petite fille devient femme”.

"Le loup déguisé", illustration de Gustave Doré pour le conte de Charles Perrault, gravure de 1870
“Le loup déguisé”, illustration de Gustave Doré pour le conte de Charles Perrault, gravure de 1870 © Getty / duncan1890

“Que vous avez de grandes dents”

La petite fille se déshabille et va se mettre dans le lit où, comme le dit Perrault, “elle fut très étonnée de voir comment sa mère grand était faite en son déshabillé”. Mais, comme le souligne Bernadette Bricourt, “ça ne se passe finalement pas si mal. Très souvent, il va être fait allusion au corps velu du loup, à ses griffes, à son poil. 

Il n’y aura que dans une seule version orale, à ma connaissance, une question sur la queue (“Oh mère-grand, que vous avez une grande queue !” Le loup répond “C’est pour mieux chasser les mouches, mon enfant”). En général, on évite la queue, mais il y a des questions sur le corps du loup qui sont vraiment des questions sur le corps animal et sur le corps viril, sur le corps qui fait peur”. 

Le petit chaperon rouge, une héroïne qui s’en sort… toute seule !

A la fin du conte, Bernadette Bricourt raconte que le petit chaperon rouge demande au loup d’aller dehors pour “faire ce que le roi lui-même ne peut pas faire par un autre”. Autrement dit : aller aux toilettes. “Et elle va sortir de la maison. Il va lui attacher un fil de laine à la jambe et elle le dénouera quand elle sera dehors et rentrera à la maison. 

Autrement dit, elle trouve en elle-même l’instrument de sa propre sauvegarde. C’est véritablement une héroïne de conte qui n’a même pas besoin du chasseur “super père” des frères Grimm pour se tirer d’affaire !”

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