L’Europe se pare de ses plus beaux atours, et finance INDECT, un projet de surveillance tous azimuts. Images de vidéosurveillance, fichiers échangés sur le web : le but est de repérer tout comportement “suspect” – pour “prévenir” les crimes
Attention, vous vous apprêtez à effectuer un long voyage dans un univers parallèle, celui de la surveillance sécuritaire. Voici donc le premier billet d’une série consacrée à un projet qui fait déjà beaucoup parler de lui.
“Mais de quoi il parle ?”, vous dites-vous. Posons le cadre. Au nom de la sécurité, l’Europe finance une multitude de projets de recherche high-tech. Parmi les 194 projets du volet sécurité du FP7, le programme de recherche et de développement de la Commission européenne, se trouve un projet attaqué de toutes parts, surtout par les Anonymous : le projet INDECT.
Prévenir les menaces
Devise d’INDECT : “pour la sécurité des citoyens”. Pour faire simple, ce projet de recherche prévoit, tout simplement, une surveillance généralisée (et intelligente) en milieu urbain, via l’utilisation de caméras de surveillance, la géolocalisation des téléphones portables, la détection de “données biométriques” et la surveillance des données et fichiers échangés sur Internet.
Les recherches sont financées pour 11 millions d’euros (sur 15 millions d’euros au total) par la Commission européenne, pour la période 2009-2013.
Objectifs d’INDECT : détecter les comportements “suspects”, les “menaces”, les “comportements anormaux” ou la violence sur Internet et dans la “vraie vie”. Sus aux pédophiles ou au trafic d’organes sur Internet, halte aux terroristes et aux criminels dans le monde réel !
Vidéosurveillance “intelligente”
A Bruxelles, Christoph Kautz, de la direction générale “Entreprises et Industries” de la Commission européenne, m’explique l’idée d’INDECT : “Ce projet a pour but d’améliorer la sécurité collective. Avec une technologie permettant de prévenir en détectant un comportement suspect, nous pourrions éviter une catastrophe comme celle de la Love Parade de Duisbourg, en Allemagne, en 2010.”
La foule participant à l’événement avait été prise d’un mouvement de panique alors qu’une partie du cortège cherchait à s’engouffrer dans un tunnel. Au moins 19 personnes étaient mortes piétinées dans le mouvement de foule. “Ce drame est arrivé parce que la police a remarqué trop tard un mouvement de panique dans la foule. Avec INDECT, ce genre d’évenement anormal pourrait être détecté.”
Christoph Kautz cite encore les attentats du métro de Londres, en 2005 : “Pour retrouver les terroristes, des centaines de policiers ont été retirés des rues de la capitale pour visualiser les images des caméras de surveillance. Si INDECT était opérationnel, les policiers américains pourraient peut-être retrouver, en deux temps trois mouvements, l’auteur (ou les auteurs) de l’attentat de Boston, qui a eu lieu le 15 avril…
Le but d’INDECT est de faciliter les procédures de recherche et de contrôle : les opérateurs de vidéosurveillance ne peuvent pas surveiller plus d’une dizaine d’écrans à la fois”.
Photo : Highways Englands CC2.0
Pour simplifier leur travail, quoi de mieux qu’un système détectant un comportement suspect sur les images des caméras, et lançant automatiquement une alerte ? En utilisant un tel système de “vidéosurveillance intelligente” (VSI), les surveillants seraient moins nombreux, ce qui signifierait aussi “moins d’erreurs”.
Les initiateurs du projet défendent aussi ses possibles “bénéfices économiques”, à travers un staff réduit, qui permettrait aux policiers d’être affectés à d’autres tâches. “Il ne s’agit pas d’une surveillance de masse, mais d’un ciblage et d’une détection des menaces plus efficaces”, peut-on lire sur le site d’INDECT.
Ce faisant, un “suspect” détecté sur une caméra pourrait être suivi à la trace au fil des caméras (ou son trajet passé remonté “en sens inverse”), dans la gare, dans la rue, en temps réel. Lui ou son véhicule, par exemple. L’idée étant évidemment d’identifier le suspect si son “comportement anormal” ne laisse aucune place au doute, notamment en reconnaissant la plaque d’immatriculation de sa voiture.
Pas de reconnaissance faciale directe dans le lot, assure-t-on, même si le futur système INDECT devrait être aussi capable de détecter le visage d’un individu, afin de le comparer (mais pas automatiquement) à une base de données de personnes recherchées.
Parmi les partenaires d’INDECT volet “vidéosurveillance intelligente”, on compte l’université des Sciences et Technologies de Cracovie (AGH), à la tête des recherches, ainsi que les universités de Gdańsk (Pologne) et de Kosice (Slovaquie).
Leurs chercheurs et étudiants créent des algorithmes, afin de détecter une “situation dangereuse” : via des capteurs sonores, des appels à l’aide, des bris de vitre, des hurlements ou des coups de feu ; via les caméras, un corps sur le sol, un individu brandissant un revolver, ou encore marchant dans le sens inverse de la foule…
Comportements “suspects”
Les polices d’Irlande du Nord (PSNI) et de Pologne (MSWIA) testent de leur côté les prototypes (collection d’algorithmes et de logiciels) et participent à l’élaboration d’une “compilation” de comportements suspects et de silhouettes, sur laquelle le système s’appuie pour détecter un mouvement “anormal”.
Un mouvement “anormal” est défini dans le projet comme un “comportement criminel”, ou comme un “comportement lié à un acte terroriste ou une activité criminelle grave (meurtre, braquage de banque)”. Un répertoire de mouvements “anormaux” est constitué.
Parmi ces gestes “suspects” : courir, marcher en contresens de la foule, aller et venir nerveusement, rester debout quand la majorité des gens est assise, marcher plus vite que la foule… Bref, si vous êtes du genre à ne pas aimer la foule, vous devrez faire attention : vous serez probablement surveillé !
A suivre, dans le prochain billet : le projet de surveillance d’Internet par INDECT. Tout un programme !